Que la révolution du patient débute

Que la révolution du patient débute

Les auteurs de l'article «Let the patient revolution begin » du BMJ de 2013 invitent à une révolution des systèmes de soin, par une participation active des patients et une collaboration médecin-patients renforcée. « Les patients peuvent améliorer les soins de santé : il est temps de prendre le partenariat au sérieux » 

L’article de 2013 du BMJ « Let the patient revolution begin [2] » est considéré comme fondateur d'un nouveau mouvement qui vise à donner plus de pouvoir aux patients, même si ce mouvement n’est mis en pratique que trop rarement à ce jour.  Nous donnons ici une traduction française de l'article de Tessa Richards, Victor M Montori, Fiona Godlee, Peter Lapsley et Dave Paul

« Il y a cent ans, pour expliquer qu’une profession a du mal à s’auto critiquer, George Bernard Shaw disait que la profession médicale est une conspiration contre le laïc (1). De nos jours, les systèmes de santé centrés sur la maladie et le médecin, sont coûteux, gaspilleurs de ressources, atomisés, trop souvent bien peu soucieux d’autrui, ce qui qui peut provoquer colères et rejets. 2)

Malgré les meilleures intentions et les compétences incontestables de nombreux professionnels de la santé, l'accès aux soins et à leur qualité varie considérablement, et la plupart des citoyens des pays riches ont accès à un vaste ensemble de tests et de traitements dont les mérites sont médiatisés et les préjudices minimisés (3) Les patients manquent d'informations sur les aspects fluctuants des pratiques, l'efficacité des soins et la portée de l'incertitude médicale. La pratique s'appuie sur une base de recherche incomplète, truffée de choix et de rapports biaisés (4) et de fraudes dans les pires situations. La préservation des bureaucraties institutionnelles et des intérêts professionnels et commerciaux, a toujours été prioritaire par rapport aux intérêts des patients. Le complexe industriel de la santé est accusé d'avoir perdu sa raison d'être morale. (5) Cette corruption de la mission de soins de santé nécessite une correction urgente. Et comment faire mieux que de demander l'aide de ceux que le système est censé servir, à savoir les patients ? Bien plus que les cliniciens, les patients comprennent les réalités de leur état, l'impact de la maladie et de son traitement sur leur vie, et comment les services de soins pourraient être mieux conçus pour les aider. (6)

Les cliniciens et les patients doivent travailler en partenariat, si nous voulons améliorer les soins de santé et remettre en question des pratiques et des comportements profondément enracinés. Après des siècles de paternalisme, cela ne sera pas facile pour l'une ou l'autre des parties, et certains patients pourraient continuer à préférer que leur médecin joue le rôle principal dans la prise de décision. Mais de bons exemples montrent la voie. L'initiative Choosing Wisely aux États-Unis (www.choosingwisely.org/) réunit des patients et des médecins pour identifier et réduire le recours à des interventions injustifiées et inefficaces. Des groupes de discussion composés de patients, de soignants et de cliniciens, dirigés par la James Lind Alliance au Royaume-Uni et le Patient Centered Outcomes Research Institute aux États-Unis, font la lumière sur les décalages pouvant exister entre les questions pour lesquelles les patients et les médecins veulent des réponses et celles que les chercheurs étudient. Ces échanges ont permis de constituer une base de données sur les incertitudes concernant les effets d’un traitement (www.library.nhs.uk/duets/).

Les patients et les médecins collaborent également à la conception de nouveaux services et systèmes d'information. (7) Parmi les chefs de file des partenariats innovants, citons ReshapeHealth (www.radboudreshapecenter.com), qui est un pionnier de la recherche dirigée par les patients et de "financement communautaire". Un nombre croissant d'organisations de soins de santé donnent aux patients l'accès à leur dossier médical et, dans certains cas, le contrôle de celui-ci. (7) À la Clinique Mayo, une application gratuite donne aux patients un accès complet à aux notes médicales les concernant, aux rapports sur leurs pathologiques et aux rapports radiologiques ; et comme un transfert de pouvoir dépend de l'accès à un lexique commun, un travail de rédaction est en cours pour réduire le jargon médical et faciliter l’accès ces ressources linguistiques. Il existe des guides sur le pourquoi et le comment de l'engagement avec les patients (http://epatientdave.com/let-patients-help/) (8), et certains patients agissent déjà en tant que "sherpas" pour promouvoir le travail collectif (6), notamment les membres du mouvement de la médecine participative (http://participatorymedicine.org).

Les communautés de patients qui se rencontrent en ligne pour discuter, se soutenir, s'informer et s'entraider, sont un moyen d'autonomisation des patients (bien qu'il soit important de savoir qui les parraine). (9) Ces communautés constituent également pour les professionnels de santé, une riche source d'apprentissage encore largement inexploitée. Il s'agit par exemple de healthunlocked.com, healthtalkonline, rawarrior.com et cancergrace.org (www.bmj.com/podcast/2013/04/29/dying-patients-hospital-e-patients-online). De bénéfiques apprentissages peuvent émerger du fossé qui sépare les  échanges cliniques des préoccupations partagées par les patients.

Le plaidoyer en faveur de l'engagement des patients, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Europe continentale et bien au-delà, est largement motivé par la croyance, soutenue par certaines preuves, que l'engagement des patients peut réduire les coûts de santé en évitant les investigations et les traitements inutiles. L'engagement des patients est considéré comme un moyen d'aider les systèmes de santé à se développer de façon durable. Certains ont fait valoir qu'il s'agit du "médicament vedette du siècle" et que cet engagement produira des dividendes qui sont en rapport.(10)

Mais le partenariat avec les patients doit être considéré comme quelque chose de bien plus important qu'une solution nouvelle pour améliorer l'efficacité des soins de santé. Il s'agit plutôt d'un changement fondamental dans la structure du pouvoir en matière de soins de santé et d'un recentrage sur la mission fondamentale des systèmes de santé. Nous devons accepter l'idée que l'expertise en matière de santé et de maladie se situe autant à l'extérieur qu'à l'intérieur des cercles médicaux et que le travail aux côtés des patients, de leurs familles, des communautés locales, des organisations de la société civile et des experts dans d'autres secteurs est essentiel pour améliorer la santé. La révolution exige une participation commune, dans la conception et la mise en œuvre de nouveaux systèmes de soins, des politiques et services, ainsi que dans la prise des décisions cliniques.

Il reste encore beaucoup à découvrir, à évaluer et à mettre en œuvre pour établir un partenariat significatif avec les patients. Il est également nécessaire d'intégrer dans la pratique courante, la prise de décision partagée, fondée sur les préférences et les objectifs individuels des patients (11 et 12). L décisions communes des participants de la réunion publique de juin au Pérou (www.isdm2013.org), qui peut être suivie psur les médias sociaux, peut faire avancer le débat mondial sur les  réflexions et recherches récentes.

Pour sa part, le BMJ renforce son engagement en faveur d'un vaste d'articles sur le cheminement des patients. (13) Nous voulons maintenant élaborer une stratégie de partenariat avec les patients qui se retrouvera dans toutes les pages du journal. Nous prévoyons de mettre sur pied un groupe de patients et de cliniciens pour nous aider dans ce travail et nous vous rendrons compte de nos progrès.

On dit que les soins de santé ne s'amélioreront pas tant que les patients ne joueront pas un rôle de premier plan pour y remédier. (14) Nous sommes d'accord et sommes impatients de contribuer à faire avancer la révolution des patients. »

Références

(1) Shaw GB. The doctor’s dilemma: a tragedy. 1st World Library. Google Scholar
(2) Fung B. How the US health-care system wastes $750 billion annually. Atlantic2012Sept 7 .theatlantic.com/health/archive/2012/09/how-the-us-health-care-system-wastes750-billionannually/262106/.
(3) Moynihan R, Glaziou P, Woloshin S, Schwartz L, Santa J, Godlee G. Winding back the harms of too much medicine.BMJ2013;346:f1271.
(4) Chalmers I, Glaziou P. Avoidable waste in the production and reporting of research evidence.Lancet2009;374;86-9.
(5) Smythe C. NHS urged to find its “moral purpose.”Times 2013 March 8. thetimes.co.uk/tto/health/news/article3708313.ece.
(6) Young K. Doctors’ understanding of rheumatoid disease does not align with patients’ experiences.BMJ2013;346:f2901.
(7) Davies P. Should patients be able to control their own records? BMJ 2012;345:e4905.
(8) Coulter A. Engaging patients in healthcare. Open University Press, 2011.
(9) De Bronkart D. How the e-patient community helped save my life. BMJ2013;346:f1990.
(10) Dentzer S. Rx for the “blockbuster drug” of patient engagement. Health Affairs2013;32:202.
(11) Mulley A, Trimble C, Elwy G. Stop the silent misdiagnosis: patient preferences matter. BMJ2012;345:e6572.
(12) Roland M, Paddison C. Better management of patients with multimorbidity. BMJ 2013;346:f2510.
(13) Lapsley P. Lessons from patient journeys. BMJ2013;346:f1988.
(14) Hadler NM. The citizen patient. University of North Carolina Press, 2013.