Pour Stephen Gilligan, trois périodes ou trois générations peuvent expliquer l'histoire mouvementée de l'utilisation de l'hypnose dans des processus de changement
Les trois générations d'hypnose
La première génération de travail hypnotique
C’est une approche autoritaire, directe et traditionnelle de l’hypnose. Elle repose sur le postulat que l'esprit conscient du client n'est pas très utile à la réalisation du travail de changement, et qu’il peut donc être mis hors circuit par l'hypnose.
On cherche à ce que la personne entre en transe et que son esprit conscient s'en aille ailleurs et disparaisse. L'esprit inconscient des patients n’étant pas considéré comme très intelligent et créatif, il doit se soumettre à une sorte de programmation externe et à des suggestions autoritaires. On élimine donc l'esprit conscient du patient et on implante de nouvelles suggestions plus positives dans son inconscient. Pour Stephen Gilligan, cette approche comporte de nombreuses limites pratiques, et probablement que l’une des plus importante est la non implication des propres ressources du patient, et de sa propre façon de faire. Il y a donc un rejet de ce qu’on pourrait considérer comme un système immunitaire psychologique.
La deuxième génération est due à Milton Erikson
Milton Erickson a pratiqué une approche très différente de l'hypnose, ce qui a constitué une rupture radicale par rapport à la première génération. Tout d'abord Erickson a perçu la transe non pas comme quelque chose d’artificiel, et non pas comme la conséquence de la suggestion hypnotique, mais comme quelque chose de naturellement présent dans le tissu de la conscience humaine. De plus il a considéré l'inconscient comme très créatif et souligné le fait que la façon dont chaque personne vit la transe est unique. Ces caractéristiques d'unicité, d'inconscient créatif et de transe naturaliste, ont vraiment fait passer l'hypnose de première génération à une hypnose de seconde génération, dans laquelle on peut faire appel à l'inconscient créatif du patient. Pour Stephen Gilligan, Erikson a poursuivi l'erreur de la première génération, à savoir de considérer l'esprit conscient comme fort peu intelligent et de ne pas le percevoir comme un partenaire important dans le processus de changement. C'est ainsi qu'Erikson utilisait la confusion ou la dissociation.
Le changement expérimenté par le patient ne pouvait être génératif dans sa façon d’aborder le monde. Stephen Gilligan raconte qu’au cours de ses nombreuses années de formation avec Erickson et d’expériences avec ses différents patients et étudiants, il a été déçu de constater que lorsque ces personnes qui avaient été en contact avec Erikson rencontraient un problème ou faisaient face à une crise dans leur vie, ils mettaient en place ce qu'elles avaient appris d'Erikson, à savoir "Je vais entrer en transe et imager, ce que Milton Erikson me dirait de faire". Cette approche semble problématique car elle n'enseigne pas vraiment à une personne sa propre capacité à relever les défis de la vie. D'une certaine manière, elle continue à porter dans son esprit la présence idéalisée d'un grand hypnotiseur, Milton Erikson.
La troisième génération et la transe générative
Cette troisième génération est le fruit des recherches de Stephen Gilligan. Elle tente de nous rappeler que l'esprit conscient est très intelligent, mais bien plus important encore, il peut s’organiser pour être un collaborateur de poids, dans une relation de respect mutuel, de ce que nous appelons l'inconscient créatif. Ainsi, cette égalité de rôle et ce respect mutuel entre esprits conscient et inconscient constitue ce que Stephen Gilligan appelle le travail de transe générative. Ce travail valorise autant l'esprit conscient et l'esprit inconscient créatif du patient ou du client. Erikson n’était probablement pas pleinement conscient de cela, et Stephen Gilligan dirait en son nom qu'il est très important de situer le travail d'Erikson dans une époque très différente de la notre. Nous ne savons pas si la culture de son époque, les années 30, 40 et 50 ans, permettait vraiment ce qui est aujourd'hui accepté. La culture de cette époque était marquée par une attitude assez paternaliste "le père sait mieux que quiconque", qui ne permettait pas vraiment de valoriser la possibilité d'une intelligence créative en chaque personne.
Ainsi, si vous étiez une femme au foyer, un boulanger ou un fermier et que vous aviez un problème, vous alliez voir le médecin. C’est lui qui avait toute l'intelligence. Nous sommes maintenant à une époque bien différente. Et il n'y a certainement plus la même considération envers le médecin. Par contre le patient exige d’voir une position d’égalité vis à vis du médecin, dès qu’il s’agit de sa propre santé et sa propre guérison. Ce changement culturel nous a probablement permis de commencer à apprécier l’idée que "le royaume du bien est dans chaque personne". Des fonctions, par exemples celles du médecin qui a tout le pouvoir de guérison, étaient cantonnées à certains mondes sociaux. Nous pouvons maintenant réaliser que le médecin guérisseur est en chacun de nous. Et qu’il peut être activé, jusqu'à un certain point, en chaque personne, et c'est ce que nous tentons de faire avec la transe générative. Une façon simple de penser la troisième génération d'hypnose, serait de croire que nous pouvons apprendre à nos patients et clients à devenir leur propre Milton Erikson.
Le chemin de la deuxième à la troisième génération
L’expérience de Stephen Gilligan l’a amené à vivre une sorte de crise de vie vers l'âge de 37 ans. Lorsqu’il a commencé à étudier avec Milton Erikson, il avait 19 ans, assez dévot, et vraiment motivé de comprendre ce que qu’il pressentait du travail d’Erikson. Il pensait que tout ce qu’il avait à faire était d'appuyer sur le bouton qui le connectait à sa propre version de l'inconscient. Mais à 37 ans, son père meurt, et un mois plus tard sa fille nait. Ces deux expériences cruciales et monumentales ont créé de manière inattendue un changement majeur. Et quelque chose à l'intérieur de lui, une partie de lui à laquelle il pouvait toujours faire confiance en entrant en transe, s'est interrompue pour une raison quelconque. « J'étais assez confus et angoissé à ce sujet. J'ai pu puiser dans cette idée Eriksonienne de base, que cela pouvait être un cadeau si je m'y ouvrais et écoutait ce que je pouvais apprendre de cela. » Il est devenu clair pour lui que son apprentissage intérieur tentait de lui enseigner quelque chose. Ce qui l'a vraiment frappé, est qu’il n'avait plus de père et qu’il était devenu père, et donc d'une certaine manière, qu’il tentait d'arrêter d'être le fils d'Erikson. Pour continuer à intervenir sous son égide, il était temps pour lui de prendre en compte ce que qu’il pensait constituer des différences émergentes.
« La notion de relation à soi constitue cette connexion résonnante entre le soi cognitif, ce que nous appelons en hypnose l'esprit conscient, et aussi ce que je commence à appeler l'esprit somatique. Le corps-esprit qui est le premier, mais pas le seul inconscient. Et quand on obtient une bonne combinaison entre ces deux-là, on obtient un Soi Relationnel que j'appelle maintenant un Soi Génératif. C'est une sorte d'esprit tertiaire (troisième) qui contient tous les aspects utiles des deux esprits différents, plus les propriétés émergentes, et qui possède également des propriétés supplémentaires qui sont très, très utiles pour la créativité, la guérison et la transformation. »
Les trois grandes différences entre l'Hypnose Eriksonienne et la transe générative de la relation à soi
1- L’expérience du corps. La transe générative est beaucoup plus focalisée sur l'expérience du corps. Du fait des arts martiaux qu’il pratique et aussi d'autres types de psychothérapies, l'inconscient fait l'expérience somatique de différentes sensations et énergies dans le corps. Il convient donc de se concentrer avant tout sur la façon dont une personne vit l'expérience dans son corps, à la localisation exacte de l'expérience dans son corps, de façon à ce que la composante somatique... devienne de plus en plus pertinente, ce qu'Eugen Gendlin appelait le sens ressenti.
2- l'extériorisation de la transe. La transe est classiquement considérée comme un phénomène orienté vers l'extérieur. Dans les deux premières générations de transe, la transe se pratiquait en fermant les yeux. Vous deviez donc vous éloigner du monde extérieur. Dans l’art de la performance, par exemple celle de l'Aikido, fermer les yeux est source de gros problèmes ! Ce qui est recherché pour pouvoir fonctionner à ces hauts niveaux de créativité et de concentration spéciale du flux créatif, est retrouvé dans la transe. Dans les expériences de transes des arts martiaux on garde les yeux ouverts et la conscience est orientée vers le monde extérieur. Cela rend possible et légitime l’expérimentation de la transe dans de nombreuses situations et avec des manières plus variées qu’avec l’hypnose d’Erickson. Par exemple, le thérapeute lui-même peut être capable d'utiliser à certains moments de son intervention, certains type de transe qui lui permettent de se sentir plus connecté au patient, plus connecté à ce qui se passe dans la situation extérieure ou plus connecté à l'inconscient créatif. Donc l'extériorisation de la transe est la deuxième différence.
3- l'internalisation de la fonction Erikson est la troisième différence, et peut-être la plus importante. « Je faisais allusion au fait qu'Erikson ne respectait pas vraiment l'esprit conscient du patient. Erickson s’occupait de l’esprit conscient du patient et disait que l'inconscient était l’intelligent, mais il n'expliquait pas pourquoi l'inconscient agissait si bêtement avant qu'Erikson ne s'y intéresse. Nous pourrions même dire que l'inconscient est intelligent mais qu’on reste avec le problème. S'il est si brillant, pourquoi crée-t-il des problèmes ? On pourrait aussi dire que c’est la brillante technique de l'hypnotiseur Erikson, qui a pu résoudre le problème. La différence qui fait la différence, et c’est ce que nous disons dans la Relation à soi, est ce quelque chose qui émerge de la conversation entre les deux esprits. C'est là où Erikson était un génie, car il était capable de structurer et d'organiser son esprit conscient pour s'adapter de façon optimale aux schémas de l'esprit inconscient des patients. Et c'est le ticket gagnant qui nous amène à la question de savoir si seul Erikson peut faire ça ? Ou seuls des prêtres hautement qualifiés peuvent le faire ? Si c'est le cas, l’approche d’Erickson a des limites. Ou alors ne pourrions nous pas apprendre à nos patients à établir eux-mêmes une relation avec leur inconscient créatif, qui leur permettrait de devenir leur propre Milton Erikson ? Cette intériorisation chez le client de ce que j'appelle la "fonction Erikson" Cette façon de parler habilement à l'inconscient constitue la troisième différence majeure entre hypnose Ericksonienne et la transe générative
La notion de "champ".
Les êtres humains interviennent toujours dans des contextes plus larges qu’eux-mêmes. Ainsi, le corps physique est un champ pour nos pensées, la culture est un champ, la famille est un champ, la médecine en est un, l'histoire personnelle est également un champ. Un champ est le contexte dans lequel chaque expérience est vécue, et les significations y sont données. Chaque champ possède une très puissante influence sur la conscience de la personne. La personne peut se trouver dans un champ très conservateur ou négatif, dans lequel elle se sent enfermée ou limitée. Un champ familial négatif peut sans cesse ramener ses membres dans un état négatif. Avec notre conscience nous pouvons commencer à déplacer notre attention pour l'ouvrir au champ d'une manière très positive. De nombreuses personnes le font déjà dans leur état de bien-être quotidien. Si vous écoutez la musique que vous aimez vraiment, votre attention et votre conscience s’élargissent et s'ouvrent. Et vous commencez à ressentir un espace ou un champ dans lequel tous les différents motifs de la musique vous donnent une sensation d’élargissement de votre conscience.
Lorsque nous sommes dans la nature, nous ressentons un sentiment de bien-être et nous commençons à nous ouvrir et à sentir que nous faisons partie de quelque chose de plus grand. C'est ce que nous entendons par "champ". La plupart des gens ne font l'expérience du champ que dans des circonstances extrêmement positives. Ainsi, lorsqu'ils sont amoureux, lorsqu'ils se trouvent dans un endroit très positif. Si c'est la seule situation dans laquelle ils font cette expérience, celle-ci a une valeur limitée. Ce que nous recherchons dans ce travail, c'est de savoir s'il est possible d'accéder et d'activer et d’ouvrir un champ de bien-être dans des circonstances contradictoires et négatives. Par exemple, quand quelqu'un explore un traumatisme, lutte contre un sentiment de panique, est-il possible d'ouvrir un état de bien-être plus large que le problème ? Si l’attention première de ces personnes ne porte pas sur le problème, ce qui les mettrait probablement en échec, mais sur l'espace ou champ positif de bien-être qu'ils maintiennent autour du problème. Voici en quelques mots ce que j'entends par champ. Ce que nous cherchons dans ce travail, c'est de trouver des moyens techniques par lesquels nous pouvons aider le client à faire cela. Pour que leur attention puisse se détendre dans l’espace de bien-être, plutôt que de s'engager dans les défis difficiles de l'état problématique.
A propos du mot "hypnose »
« A la place du mot hypnose, j'utilise le mot transe générative. Parce que je considère que la transe est très différente de l'hypnose car la transe est l'expérience naturelle qui se produit en nous en réponse à certaines conditions, alors que l'hypnose est l'un de ces rituels sociaux, psychologiques, qui s'est développé en Occident en tant que moyen de façonner l'expérience naturelle de la transe. C'est très différent de la transe traditionnelle, qui déclare que la transe est un artefact de la suggestion et qu'elle vient de l'hypnose. Nous disons que la transe ne vient pas de l'hypnose, elle vient de la vie elle-même. L'hypnose est une forme de guide de navigation pour travailler avec la transe. Malheureusement, le mot "hypnose" porte un lourd bagage négatif. Il véhicule l'idée que l'expérience d'une personne est contrôlée de l'extérieur, ce qui, même si cela est fait de manière phénoménale, limite les capacités humaines créatives du patient. L'expérience présentée par le patient compte bien plus que la technique hypnotique, et c’est ce qu’Erickson tentait de faire. Comme le disait Erikson, votre pratique de thérapeute ne peut reposer que sur une seule théorie. De la même manière vous ne pouvez vous contenter que de la seule technique hypnotique. Ce que l'on cherche à faire avec la transe, est de créer, quel que soit l'expérience psychobiologique intérieure, un moyen sûr, positif et plein de ressources, un endroit sûr qui puisse être utile à des fins de guérison.
Les apports de Carl Jung
« Je n'aurais jamais la prétention de répondre à la question de savoir ce que Jung aurait tiré de la transe générative. J'ai deux grandes photographies encadrées dans mon bureau, l'une d'Erikson et l'autre de Jung. Je pense donc qu'il est vraiment l'un des grands génies. Ce que je pense, c'est que nous devons prendre conscience que la sophistication psychotechnique n'était pas très développée il y a 100 ans. Ces grands pionniers avaient des idées innovantes et fort courageuses, mais ils n'avaient pas vraiment les méthodes techniques qui auraient permis à leurs idées de porter leurs fruits. En un siècle nous avons assisté à de nombreux changements culturels. Ce que nous permettons à nos patients de faire aujourd'hui, est bien au-delà de ce qui aurait été admissible il y a un siècle. Par exemple les changements de vie que nous sommes capables d'encourager chez nos patients. Vous n'auriez pas pu faire cela il y a 100 ans, cela n'aurait tout simplement pas été approprié. J'ai donc beaucoup de respect pour Jung, mais je dirais que certains des moyens techniques par lesquels on peut aider les gens à se connecter à leur corps, à pouvoir s'ouvrir à l'espace créatif au-delà de la conscience individuelle n’existaient pas à son époque. Des progrès considérables ont été réalisés dans le domaine de la conscience et de l’ouverture à l’espace créatif, pour que les personnes puissent façonner de manière intentionnelle et habile leur conversation entre conscient et inconscient. Si vous appliquez maintenant ces progrès à certaines idées de Jung qui ont plus de 100 ans, le travail de Jung prendra une nouvelle dimension. Je pense que ce qu’ont fait Jung et Erickson et que peu de gens ont fait, c'est de s'être courageusement ouvert au voyage de l'inconscient. Jung n'a pas abordé le travail avec ses patients d'un point de vue intellectuel. Il était un participant actif dans le voyage de l'inconscient créatif. Erikson connaissait la transe car il en faisait l'expérience. En tant que thérapeute, nous pouvons apprendre à faire confiance, et apprendre de notre esprit inconscient. Cela nous donne la confiance, la base de compétences et l'autorité éthique et morale pour pouvoir présenter cette idée à nos patients d'une manière qui peut transformer leur vie. »
La vie offre des possibilités infinies
« J'ai trop de catholique irlandais en moi pour ne pas être trop pessimiste. Mais ce que je sais, c'est que la vie offre des possibilités infinies. Si on y met du sien et qu'on s'ouvre à ces possibilités, on peut être surpris de voir ce qu’elles nous offrent. Etre capable de vivre avec cette conscience des possibilités infinies n'est pas naturel pour moi, car je viens d'une famille très dépressive. Mais vivre comme cela est tellement plus enrichissant que de vivre de manière pessimiste et limitée. Comme la plupart des gens, je sais que la vie devient insupportable si je la mène de manière fermée, craintive ou avec colère. Ce que j’ai appris d'Erikson, est qu'on peut apprendre quelque chose de nouveau chaque jour. Je pense que nous savons que les souffrances et les douleurs inévitables font partie de la vie de chaque être humain, qu'elles sont non seulement supportables mais que nous pouvons réaliser qu'elles ne sont pas l'essentiel. L'essentiel est d'être capable d'apprécier cet incroyable miracle et ce cadeau de la vie qui nous a été donné.
Sources
Interview with Stephen Gilligan, Marah, Germany Trance Camp 3, 14.10.2009 ; By Heinrich Frick
https://www.inhypnos.de/fileadmin/downloads/InterviewGilliganEN2009.pdf