Nous faisons plus d'efforts pour éviter les pertes que pour réaliser des gains

Nous faisons plus d'efforts pour éviter les pertes que pour réaliser des gains

Le concept d’aversion aux pertes fait référence au fait qu’un individu accorde plus d’importance à une perte qu’à un gain du même montant ou d’une même valeur.

Cet individu est plus sensible à un changement négatif par rapport à un état de référence qu'à un changement positif de la même ampleur. Le décideur est donc plus sensible à une perte qu'à un gain équivalent. Nous avons tendance à adopter un comportement qui minimise la prise de risque, par crainte d’être déçu par le changement et avons également tendance à passer à l’action avant qu’une opportunité ne disparaisse. Ce phénomène est très observé en économie et en marketing (attention, cette offre est limitée !!)  et aussi dans l’éducation. Par exemple, on attribue à des étudiants un maximum de points au début du semestre, qu'ils perdent ensuite en fonction de leurs résultats aux examens et aux travaux. A la fin e l’année, ceux qui perdent des points obtiennent de meilleurs résultats que les étudiants qui commencent avec zéro point et doivent travailler pour en accumuler.

L’hypothèse explicative serait que nous serions plus disposés à faire plus d'efforts pour éviter les pertes que pour obtenir des gains. Mais cette hypothèse n'a été que peu étudiée, écrivent Ana Farinha et Tiago Maia, de l'université de Lisbonne, dans leur article publié dans le Journal of Experimental Psychology. Les deux chercheurs ont utilisé un dispositif expérimental qui ne se focalisait pas sur la performance de l’activité, comme c'est généralement le cas dans ce domaine de recherche, mais plutôt sur l'effort que les participants choisissaient de fournir pour éviter les pertes ou réaliser des gains.

Dans la première étude, 32 jeunes adultes devaient "gonfler" l'un des deux ballons qui leur étaient présenté sur un écran, soit pour gagner des points, soit pour empêcher la perte de points. L'un des ballons était toujours relativement facile à gonfler en appuyant 25 fois sur une barre avec l'index de la main non dominante. Pour gonfler l'autre, le participant devait faire bien plus d’efforts car il devait appuyer 75 fois sur la barre avec l'auriculaire de sa main non dominante. 

Deux types d’acquisition de points étaient possibles. Dans la catégorie "gain", les indicateurs montraient que le fait de gonfler le ballon avec un "effort élevé" donnait des points au participant (le nombre variant selon les essais), tandis que l'option avec "effort faible" ne donnait pas de points. Dans la catégorie "perte", le fait de gonfler le ballon à « effort faible » entraînait une perte de points, tandis que le fait de gonfler le ballon à « effort élevé » empêchait la perte, préservant ainsi le solde de points du participant. Dans les deux cas, il était donc toujours préférable de choisir l'option "effort élevé" pour atteindre l'objectif d'avoir le plus de points possibles à la fin de l’expérience.

Les résultats montrent clairement que les participants ont choisi de faire plus d'efforts pour éviter les pertes que pour gagner des points. Dans les essais portant sur l'évitement des pertes, les participants ont choisi l'option « effort élevé » dans 79 % des cas, alors que ce chiffre n'était que de 59 % pour les essais portant sur l’obtention d’un gain.

Les chercheurs ont également réalisé une étude similaire avec 29 enfants âgés de 7 à 17 ans et constaté des résultats étaient très similaires. Les enfants ont choisi l’option d'effort élevé dans 84 % des tentatives d’évitement des pertes, mais seulement dans 64 % des tentatives d’obtention de gain.

Farinha et Maia rapportent la différence était claire pour la plupart des individus, même pour les enfants, ce qui suggère que cet effet pourrait refléter une caractéristique fondamentale du comportement humain. Les chercheurs déclarent également que cette hypothèse doit être vérifiée "dans plusieurs laboratoires, contextes et cultures".

Les deux chercheurs estiment que la principale importance de ces nouveaux travaux est la suivante : "Nos résultats démontrent, sans doute de manière plus définitive que d'autres travaux, que les gens choisissent explicitement d'exercer plus d'efforts pour éviter les pertes que pour obtenir des gains." 

Ils ajoutent que ce phénomène n'a pas été appliqué dans les écoles, du moins pas à grande échelle.: « si les enfants sont motivés pour fournir plus d'efforts, ils devraient mieux réussir » reste une hypothèse à vérifier. Les jeunes enfants pourraient facilement considérer les déductions comme des punitions, ce qui pourrait les rendre anxieux.

Commentaires pour les coachs de santé

Selon la « théorie des perspectives » du psychologue Daniel Kahneman, prix Nobel d'économie 2002, une caractéristique importante de la pensée est l'« aversion de la perte ». Quand les gens considèrent des actions futures, ils sont plus sensibles aux pertes qu'aux gains potentiels. La plupart des gens seraient ainsi environ deux fois plus sensibles aux pertes possibles qu'aux gains.

Je n’ai pas trouvé grand-chose dans la littérature médicale à propos des applications du concept d’aversion à la perte dans le domaine de la santé. Donc mes commentaires resteront des suppositions.  Il est important de rappeler que le concept d’aversion à la perte s’applique aux situations à risque ou d’incertitude, ce qui est la caractéristique d’une maladie considérée comme grave. Dans cette situation y a t-il plus d’énergie à déployer pour conserver un état de santé antérieur, ou à agir pour obtenir un gain ? Je pense que dans la situation de stress qu’est la maladie, la plupart des individus se représentent facilement ce qu’ils peuvent perdre de leurs habitudes de vie, et auront du mal à croire ou imaginer que la maladie puisse être source de gain. La perspective des pertes est certainement associée à l’évitement des émotions négatives et désagréables de douleur, de peur et de regret. 

Ces notions de pertes et de gain renvoient aux schémas du déclenchement de la motivation à agir, décrits sous forme de « méta-programmes » dans le modèle de la programmation neuro-linguistique. Pour certaines personnes l’action sera motivée par le désir d’éviter ou exclure un risque, un danger, une perte… ; alors que pour d’autres, l’action sera motivée par la perspective d’obtenir un gain, un bénéfice…Les deux schémas (Éviter de, ou Aller vers) sont de puissants schémas déclencheurs de motivation, et nous avons tous une préférence pour l’un de ces deux schémas dans des contextes habituels de vie.  Le contexte de la maladie est bien particulier, car c’est une situation de stress (avec souvent des mécanismes de survie), surtout dans les jours qui suivent l’annonce du diagnostic. Sous stress sévère, la priorité de la plupart des personnes malades sera de rester en vie ou maintenir leur vie d’avant. A ce stade l’action médicale est prioritaire, et il serait inapproprié de parler de bénéfices ou de gains de santé, ou de dire aux malades que leur mode de pensée n’est pas efficace. 

La stratégie d’influence est de synchroniser, puis de guider. Donc il convient en priorité d’aider la personne malade à réduire son niveau de stress, par tous les moyens adaptés à cette personne (médicamenteux, exercice, méditation, respiration…) Puis quand la personne a été rassurée par le traitement médical, et qu’elle a retrouvé un niveau de calme, il devient alors possible d’envisager de rediriger la pensée de la personne malade vers une représentation de ce que sa vie pourrait être dans le futur, et les bénéfices cognitifs et émotionnels qui peuvent y être associés. Il convient donc de tenir compte de la temporalité des deux schémas de pensée : en premier réduire la perception de perte en calmant le stress du sujet et en travaillant sur la notion très subjective de risque ; puis dans un deuxième temps diriger la conscience du sujet sur les moyens d’acquérir un nouvel équilibre de vie, et les enseignements de la maladie.

Sources

Farinha, A. C., & Maia, T. V. (2021). People exert more effort to avoid losses than to obtain gains. Journal of Experimental Psychology: General, 150(9), 1837–1853. https://doi.org/10.1037/xge0001021

We put more effort into avoiding losses than making gains; Emma Young , British Psychological Society  Research Digest ;