Les émotions l'emportent souvent sur le bon sens dans les décisions relatives aux soins de santé, ce qui pourrait expliquer la lenteur de leur mise en place
Les émotions ont tendance à prendre le dessus dans les décisions relatives aux soins de santé. C'est ce que montre une étude menée à l'université de Linköping, en Suède, où les participants étaient confrontés à des choix difficiles entre différents traitements. Selon les chercheurs, les résultats pourraient expliquer pourquoi l'utilisation efficace des ressources de soins de santé est si lente à se mettre en place. "Sous l'effet des émotions il est plus difficile pour nous de voir la valeur des autres façons d'utiliser les ressources. Nous avons une vision plus étroite", explique Gustav Tinghög, professeur au département de gestion et d'ingénierie de l'université de Linköping.
L'étude, publiée dans la revue Judgment and Decision Making, a porté sur deux groupes, l'un composé d'un peu plus de 1 200 membres du public et l'autre de 183 experts en soins de santé.
Les groupes ont d'abord dû évaluer des paires de traitements médicaux, la seule différence entre les traitements de chaque paire étant que l'une des options comportait un risque légèrement plus élevé d'effets secondaires graves ou de décès. Le coût du traitement le plus risqué était indiqué. Les participants devaient fixer le prix de l'option sans risque à un niveau suffisamment élevé pour que les deux options soient égales. "On pourrait fixer un prix infini, mais les gens ne le font pas, ils ont une capacité décente à fixer le prix de ce qu'ils pensent valoir pour la sécurité des patients", explique Gustav Tinghög.
Ce que les participants ne savaient pas, c'est qu'à l'étape suivante, ils seraient contraints de choisir entre les traitements des paires. Comme ils avaient eux-mêmes fixé un prix qui rendait les options égales, on pourrait penser que le choix n'aurait pas d'importance. Dans ce cas, le résultat serait de 50/50.
Mais dans la réalité, nous ne sommes pas aussi cohérents. Dans un scénario impliquant deux médicaments contre le cancer, dont l'un avait un risque de 1 % de causer la mort, 90 % du groupe du grand public a choisi l'option sans risque, mais plus chère. Dans un autre scénario, impliquant deux traitements pour une hernie discale, dont l'un présentait un risque de paralysie de 2 %, 94 % des personnes interrogées ont choisi l'option la plus coûteuse, mais sans risque.
La conclusion des chercheurs est que lorsque nous sommes confrontés à un choix, des valeurs l'emportent presque toujours, et la sécurité des patients est l'une de ces valeurs. En effet, lorsque nous prenons une décision, nous devons la justifier auprès de nous-mêmes et nous risquons également d'être tenus pour responsables. C'est là que les émotions prennent le dessus. Nous prenons les décisions qui nous semblent les plus faciles à justifier.
Les chercheurs ont été surpris de constater que l'effet était presque aussi important dans le groupe d'experts. Dans le cas des médicaments anticancéreux, 81 % des personnes interrogées ont choisi l'option la plus coûteuse et la moins risquée. Et dans le cas de la hernie discale, 86 % des personnes interrogées ont choisi l'option la plus sûre.
Il en résulte que les ressources médicales ne sont pas utilisées de manière optimale. L'argent dépensé pour minimiser tous les risques imaginables aurait pu être utilisé ailleurs. La sécurité du patient est toujours prioritaire, même s'il aurait été possible d'apporter plus de bien-être ou d'utilité en donnant la priorité à autre chose. Selon Gustav Tinghög, notre tendance à laisser les émotions dominer est perceptible dans le débat sur les soins de santé. L'introduction d'arguments tels que la sécurité des patients est un moyen efficace de mettre fin à la discussion.
Il souligne que les émotions ne sont pas par définition mauvaises lorsque nous prenons des décisions. Ce qui détermine si vous êtes un bon décideur politique, c'est votre capacité à combiner vos émotions avec une pensée rationnelle. "Il ne s'agit pas de mettre un prix sur une vie, mais de savoir comment obtenir le meilleur état de santé possible avec les ressources limitées dont nous disposons", déclare Gustav Tinghög.
Commentaires pour les coachs de santé
Les émotions l'emportent le plus souvent sur le bon sens dans la plupart des situations car nous ne sommes pas les êtres rationnels que nous croyons être. Cependant, les décisions concernant notre santé sont le plus souvent prises dans des situations de stress qui peuvent menacer notre intégrité physique et psychologique. L'émotion permet de prédire les conséquences de la décision et de composer les scénarios projectifs. L'émotion va donc nécessairement prendre le dessus et le besoin de sécurité immédiate va probablement prédominer. Les décisions de santé difficiles nécessitent donc des compétences émotionnelles, qui concernent avant tout les professionnels de santé qui doivent prendre des décisions parfois en urgence.
Une étude a cherché à vérifier si un niveau élevé de Compétences Émotionnelles (CE) pouvait être associé à une meilleure prise en charge d’une urgence vitale par des internes en médecine, et si oui, d’identifier les phases de la prise en charge qui bénéficient de cette influence ainsi que la nature des CE en jeu. Dans des conditions de simulation pleine échelle, dix-huit internes de médecine générale des hôpitaux des armées ont été confrontés à une panne de respirateur artificiel sur un patient intubé et ventilé. Leur niveau de CE a été évalué grâce au questionnaire d’auto-évaluation Trait Emotional Intelligence Questionnaire (TEIQue). La performance médicale a été évaluée grâce à des indicateurs temporels associés à chaque phase de la prise en charge. Enfin, des stratégies de prise de décision ont été identifiées à partir de l’analyse des enregistrements audio-vidéo. Les résultats confirment un lien significatif entre le niveau de CE et la rapidité de la prise en charge. Pour la majorité des internes, ce temps de prise de décision est consacré à la recherche et l’identification de la cause de la dégradation de l’état du patient, tandis que pour les plus rapides la décision pertinente est prise sans recherche approfondie de la cause soulignant une stratégie centrée plus directement sur la gestion du risque patient. Enfin, la perception des émotions, l’affirmation de soi et la gestion du stress sont les 3 CE qui présentent un lien significatif avec la performance médicale et qui pourraient faire l’objet de formations ciblées auprès des internes de médecine générale.
Pendant des siècles, les passions, c’est à dire les émotions ont été considérées, comme des perturbatrices de la raison, en particulier par des philosophes tels que Platon. De nos jours, les connaissances issues des neurosciences et des sciences cognitives, nous disent le contraire. Les travaux d’Antonio Damasio montrent que les émotions sont omniprésentes dans notre vie, qu’il n’est pas possible de les faire taire, qu’elles sont utiles et indispensables pour prendre de bonnes décisions. Car les émotions sont des informations qui nous renseignent sur la pertinence des options qui se présentent à nous lorsque nous devons prendre une décision. En l’absence de ces indices, les décisions peuvent être catastrophiques ! Dans des situations perçues comme à risque, et c’est le cas pour la santé, la décision peut être perturbée par des émotions issues du contexte telles que la peur, la colère, l’anxiété…Ces émotions peuvent alors venir biaiser nos décisions. Dans ces situations, il convient de savoir réguler ses émotions avec l’Intelligence Émotionnelle pour limiter leur impact négatif sur la prise de décisions.
Les enseignement de cet article concernent les professionnels de santé qui ont besoin comme nous tous, d'apprendre à gérer leur stress comme ln témoigne l'actualité médicale. Ils ont besoin d'apprendre à développer leur intelligence émotionnelle, si déséquilibrée par de longues années d'études. Certainement par des formations, mais encore mieux par un accompagnement personnalisé tel que le coaching de santé.
L'autre enseignement est qu'il est contre-productif de demander à un sujet sous stress profond, par exemple du fait de l'annonce d'un diagnostic critique, de prendre des décisions sur ce qu'il veut faire de sa maladie et de son futur. Ce type de questionnement ne fera que renforcer le stress. La priorité du coach de santé est de tout faire pour aider son client à atténuer l'intensité du stress, par exemple en le reconnectant avec toutes ses sources habituelles de bien-être. C'est seulement dans un deuxième temps, une fois la peur atténuée, que des décisions pourront être prises pour impacter l'évolution de la maladie.
Sources
(1) Study shows emotions often defeat sense in health care priority setting by Gustav Löfgren, Swedish Research Council; Medical x press 2 novembre 2023 ;
(2) Emil Persson et al, The prominence effect in health-care priority setting, Judgment and Decision Making (2023). DOI: 10.1017/S1930297500009463 ;
(3) Compétences émotionnelles et prise de décision médicale lors de la prise en charge simulée d'une urgence vitale par des internes en médecine; Le Travail humain, tome 84, no 2/2021, 139-166