Les pratiques spirituelles peuvent mener au narcissisme spirituel

Les pratiques spirituelles peuvent mener au narcissisme spirituel

Il existe un lien entre certaines pratiques spirituelles, le narcissisme et la supériorité spirituelle

Une étude montre que certaines pratiques spirituelle, telles que la lecture et la guérison de l'aura et, dans une moindre mesure la pleine conscience et la méditation, sont corrélées avec le narcissisme et la "supériorité spirituelle".

La pratique spirituelle est censée permettre à ses adeptes de se distancier de leur ego, d’encourager l'autocompassion et l'acceptation de soi sans jugement, et de moins dépendre du besoin d'approbation sociale ou de réussite. Et pourtant la pratique spirituelle pourrait avoir l'effet inverse en renforçant le besoin de se sentir "plus performants, plus respectés ou plus aimés".

Les psychologues Roos Vonk et Anouk Visser (2) ont réalisé trois études pour évaluer l’influence de pratiques spirituelles (yoga, méditation, thérapies énergétiques…) sur le narcissisme.  Les chercheurs disent avoir été inspirés par les travaux de Chögyam Trungpa (1939-1987), un maître de méditation bouddhiste tibétain, selon lequel "de nombreux chemins de traverse mènent à une version déformée et centrée sur l'ego de la spiritualité". Nous pouvons nous tromper en pensant que nous évoluons spirituellement alors qu'au contraire nous renforçons notre égocentrisme par le biais de techniques spirituelles"

La mesure de la supériorité spirituelle

Les auteurs ont conçu un outil de mesure de la "supériorité spirituelle" pour évaluer le score de narcissisme spirituel d’une personne, c’est-à-dire le sentiment d’être supérieurs de ceux "qui n'ont pas la sagesse spirituelle qu'ils s'attribuent". Cette mesure consiste à répondre à une série d'affirmations telles que "Je suis plus en contact avec mes sens que la plupart des autres", "Je suis plus conscient de ce qu'il y a entre le ciel et la terre que la plupart des individus" En raison de mon éducation et de mon expérience, je suis très observateur(rice) et je perçois des choses que les autres ignorent » , « Le monde serait meilleur si d'autres personnes avaient aussi les connaissances que j'ai aujourd'hui ».

Les auteurs ont également créé trois échelles en faisant l’hypothèse qu'elles seraient en corrélation avec la supériorité spirituelle.

a) La première échelle, celle de la "guidance spirituelle", mesure la tentation de certaines personnes à vouloir aider les autres à acquérir la même sagesse qu'eux. Par exemple "J'aide les autres chaque fois que c'est possible sur la voie d'une plus grande sagesse et d'une plus grande perspicacité", "J'aide volontiers les autres à acquérir aussi ma perspicacité" et "Je suis patient avec les autres, car je comprends qu'il faut du temps pour acquérir la perspicacité que j'ai acquise au cours de ma vie et de mon éducation".

b) La deuxième échelle, celle d’un « excès de confiance dans le surnaturel » englobe des capacités auto-attribuées dans le domaine du paranormal. Par exemple : « Je peux à distance adresser de l'énergie positive à d'autres personnes », « Je peux rentrer en contact avec des personnes décédées" et "Je peux influencer le monde qui m'entoure par mes pensées".

c) La troisième échelle, celle de la « contingence spirituelle de l'estime de soi », évalue dans quelle mesure un individu retire son estime de soi de sa spiritualité. Par exemple : "Ma foi en moi-même s’accroit lorsque j'acquiers plus de sagesse spirituelle" et "Lorsque j'acquiers de nouvelles connaissances spirituelles, cela augmente mon estime de moi".

Les chercheurs ont constaté que leur échelle de supériorité spirituelle constituait un instrument valide dans les trois études décrites ci-dessous, et qu’elle présentait une corrélation significative avec les trois autres échelles, et également avec le narcissisme, l'estime de soi et d'autres variables psychologiques.

La première étude : mesurer la supériorité spirituelle

Les auteurs ont contacté par internet plusieurs centaines d’écoles de pratiques spirituelles et ont pu recueillir 533 questionnaires (57 % de femmes, âge moyen de 51 ans). Les pratiques ont été divisées en trois catégories : la méditation de pleine conscience et la réduction du stress (n= 115), les pratiques énergétiques telles que la lecture et la guérison de l'aura (n=94), ou diverses pratiques telles que l'haptothérapie, le reiki, le shiatsu ou le chamanisme (n= 138)

Les résultats montrent une corrélation significative entre la "supériorité spirituelle" et l'estime de soi, la pleine conscience, l'excès de confiance envers le surnaturel et les guidages spirituels. Les corrélations les plus fortes ont été trouvées chez les adeptes des pratiques "énergétiques". Cela est logique disent les auteurs, car l'objectif de la thérapie énergétique est de développer des compétences surnaturelles. Ces pratiques attirent probablement les étudiants qui croient déjà avoir des talents dans ce domaine.

La deuxième étude : comparer la supériorité spirituelle entre deux groupes 

L'objectif était d’évaluer les résultats de l'échelle de supériorité spirituelle chez des sujets ayant suivi ou pas une pratique spirituelle. 2 223 participants (88% de femmes de 15 à 82 ans, âge moyen de 41 ans) ont été recrutés par l'intermédiaire d'un magazine néerlandais de psychologie. 861 sujets ont déclaré n’avoir jamais suivi de pratiques spirituelles ; 791 sujets avaient suivi une formation à la méditation ou la pleine conscience. 75 sujets avaient suivi des pratiques énergétiques (lecture ou guérison par l’aura) ; et 189 sujets ont déclaré avoir eu d’autres pratiques spirituelles. 

Les résultats montrent que la "supériorité spirituelle" présente une corrélation significative avec toutes les autres mesures. On note une augmentation progressive de la supériorité spirituelle au fur et à mesure que l'on passe du groupe "absence de pratique spirituelle" au groupe "formation à la pleine conscience" et au groupe "formation énergétique".

La troisième étude : le lien entre supériorité spirituelle et narcissisme 

L'étude 3 a testé l'hypothèse selon laquelle la supériorité spirituelle est liée au narcissisme.

Si des recherches antérieures ont utilisé le terme de "narcissisme spirituel", aucune d’entre elles ne l'a mesuré de manière empirique. Le narcissisme spirituel a été défini de différente manière, par exemple par « l'utilisation abusive de pratiques énergétiques ou d'expériences spirituelles pour renforcer une façon d'être égocentrique » ; ou une situation dans laquelle l'individu « croit qu'il est devenu éclairé d'une manière ou d'une autre, alors que les autres ne le sont pas, et opère à partir d'une position de supériorité spirituelle qui le déconnecte ».

Dans cette étude, les auteurs ont mesuré ce qu’on nomme le « narcissisme communautaire » plutôt que le narcissisme typique. Le narcissisme typique est centré sur lui-même, par exemple en pensant "Je suis plus spécial que les autres et je mérite des privilèges spéciaux du fait de ma beauté, mon niveau d’étude, mon intelligence, mes compétences, mon élégance, mes relations, mon expertise sur de nombreux sujets de conversation…etc ; Le « narcissique communautaire » se focalise sur le champ social, par exemple en pensant qu’il mérite un traitement spécial du fait qu’il est tellement chaleureux, compréhensif, amical, attentionné, serviable, utile aux autres, écouté des autres, digne de confiance, recherché par les autres pour écouter leurs problèmes…etc. Les narcissiques communautaires se distinguent des agents narcissiques avant tout par le fait qu’ils s’appuient sur les médias communautaires pour satisfaire leurs besoins personnels de valorisation. 

Cette étude a porté sur 965 participants (88 % de femmes, âge moyen de 46 ans) recrutés par différents canaux :  les page Facebook sur la psychologie, des écoles spirituelles et des participants qui n'avaient pas pu participer aux deux études précédentes en raison d'un manque de place.

Les participants ont répondu aux questionnaires sur la supériorité spirituelle, la guidance spirituelle, à plusieurs échelles relatives à l'humilité et à l'excès de confiance, et à une version courte de l'échelle du narcissisme communautaire, ainsi qu'une échelle d'estime de soi à trois items.

Les résultats montrent que la corrélation entre la supériorité spirituelle et le narcissisme est bien plus forte que la corrélation avec l'estime de soi. Les corrélations les plus faibles ont été observées chez les sujets n'ayant suivi aucune pratique spirituelle, et les plus fortes chez ceux ayant pratiqué une pratique énergétique. Le groupe « pleine conscience/méditation » se situe entre les deux, bien qu'il soit considérablement plus proche du groupe « sans pratique » que du groupe « énergétique ».

Les auteurs expliquent le lien entre la pratique spirituelle et le narcissisme par le manque d'objectivité dans le domaine spirituel "Comme la religiosité, la spiritualité est un domaine qui semble être un investissement sûr pour développer l'estime de soi"  "Les réalisations spirituelles d'une personne laissent beaucoup de place aux vœux pieux, se prêtant ainsi facilement à l'emprise de la motivation d'amélioration de soi. » De plus, les questions spirituelles étant généralement "insaisissables par rapport aux normes objectives externes", cela en fait un "domaine propice aux croyances illusoires de supériorité".

Les auteurs considèrent que la causalité entre spiritualité et estime de soi peut fonctionner dans les deux sens. D'une part, la spiritualité peut être utilisée pour renforcer l’estime de soi, pour se considérer comme une personne spéciale, et progresser avec facilité dans un domaine où il n'y a pas de résultats objectivement mesurables (contrairement, par exemple, au sport, à la réussite scolaire ou à l'accumulation de richesses). D'autre part, la formation spirituelle peut attirer des personnes qui se sentent déjà supérieures. L’exploration approfondie des pensées et des sentiments personnels qu'encourage la pratique spirituelle « peut être particulièrement attrayante » pour les narcissiques, disent les auteurs.

Peut-on, mesurer un véritable développement spirituel ?

Les résultats donc indiquent qu'il existe une auto-valorisation spirituelle, au moins dans le groupe des pratiques énergétiques. Pour ceux qui pratiquent la pleine conscience, la situation est moins claire disent les auteurs.  L’échelle de supériorité spirituelle est aussi ambiguë que les échelles utilisées pour d'autres instruments d'auto-valorisation qui n'incluent pas de critères externes objectifs, car elle peut en partie refléter une véritable supériorité. Cependant, l’importante corrélation avec le narcissisme communautaire identifiée dans l'étude 3 suggère que l'échelle reflète au moins en partie une composante subjective, celle du narcissisme communautaire. Un narcissisme communautaire qui n'est pas corrélé à la pro sociabilité objective, ce qui indique que la supériorité décrite par l'individu est en fait subjective 

En dehors des compétences spécifiques telles que le fait d'être en contact avec ses signaux corporels, il n'existe pas de mesure objective permettant d'évaluer la "véritable" spiritualité d'une personne Nous devons nous fier à des mesures d'auto-évaluation, qui ne parviennent probablement pas à saisir la complexité et la profondeur du processus spirituel. Ces mesures sont probablement toutes entravées par la distorsion de l’auto-valorisation dont il est question ici.

Une mesure plus objective reposerait sur la façon dont les individus réagissent à des événements indésirables, par exemple la survenue d’une menace contre soi-même. En théorie, les personnes véritablement conscientes et éveillées devraient réagir différemment à la menace de l'ego mais les auteurs disent ne pas avoir trouvé de données fiables sur la façon dont les personnes réagissent à la menace de l'ego.

Les auteurs se demandent si une personne vraiment éveillée participerait à leurs études. Ce type de personne serait-elle intéressée ou même capable de répondre à toutes les questions sur le "moi" ? « Peut-être que nos études n'ont été possibles que grâce à des participants dont l'ego était encore assez grand pour vouloir s'engager. À un moment donné du véritable chemin spirituel, ce motif peut disparaître. Pour reprendre les termes de Trungpa (1973), "l'illumination est l'ultime déception de l'ego". 

Commentaires pour les coachs de santé

Dans son article Méditation, yoga...quand on se croit plus « éclairé » que les autres, Scott Barry Kaufman, propose le test « Êtes-vous un narcissique spirituel » créé par les psychologues Roos Vonk et Anouk Visser, à partir d’une échelle de six propositions ou items :

  • Je suis conscient(e) de choses dont les autres ne sont pas conscients.
  • Je suis plus au contact de mes sens que la plupart des gens.
  • Je suis davantage conscient(e) des liens entre ce qui est matériel ce qui ne l’est pas que la plupart des gens.
  • En raison de mon éducation et de mon expérience, je suis très observateur(rice) et je perçois des choses que les autres ignorent.
  • En raison de ma formation et de mes expériences, je suis plus en contact avec mon corps que d’autres personnes.
  • Le monde serait meilleur si d’autres personnes avaient aussi les connaissances que j’ai maintenant.

Si vous êtes adeptes des disciplines corps-esprit, vous pouvez répondre à chacune de ces questions par une note de 1 à 5 et établir votre score de narcissisme spirituel. Au-delà de 20 points, vous devriez méditer pour prendre conscience de ce biais à l’œuvre en vous. 

Selon Scott Barry Kaufman, il est possible mais difficile de dépasser et transcender le principe universel d’égocentrisme et du narcissisme spirituel. IL nous invite à la vigilance en citant lui aussi Chögyam Trungpa, maître du bouddhisme tibétain « L’ego est capable de tout convertir à son propre usage, même la spiritualité »  L’obstacle à une transcendance saine serait lié aux promesses attachées aux pratiques spirituelles, « la réduction du stress et de l’anxiété, une plus grande confiance, une meilleure créativité, une concentration plus affûtée, davantage de réussite et de succès professionnel, de meilleures habitudes alimentaires, un sommeil de qualité, une meilleure sexualité et même l’accès au bonheur. » « Une transcendance saine ne peut découler d’une fuite de la réalité, mais au contraire implique d’affronter la réalité telle qu’elle est, de face, avec équanimité et bienveillance, et non de laisser derrière soi une partie de soi ou de quelqu’un d’autre, ni à s’élever singulièrement au-dessus du reste de l’humanité ». « Il ne s’agit pas d’être en dehors du monde ni de se sentir supérieur à lui, mais de se concevoir comme une composante harmonieuse de l’humanité. Ce qui implique de mettre ce que l’on est au service de la réalisation de la meilleure version de soi-même afin d’apporter une modeste contribution à l’équilibre de l’humanité tout entière, par exemple en soulageant la douleur d’autrui. L’intérêt de la pleine conscience est « d’être capable de voir ce qui se passe à l’intérieur de soi, sans appropriation, jugement ni action. Et simultanément, de nous défaire de l’attachement un peu trop prononcé que nous avons souvent vis-à-vis des productions de notre propre esprit…»  « Il semble que les bénéfices les plus orientés vers la croissance de l’individu se produisent lorsque nous ne les utilisons pas comme un outil pour satisfaire l’un de nos besoins fondamentaux – tels que nos besoins de sécurité, d’appartenance et d’estime de soi ». 

Une véritable spiritualité ne peut donc être liée à la satisfaction des besoins de notre égo. Il n ‘y a pas d’attentes particulières ou de démarches utilitaires dans une démarche spirituelle. La démarche spirituelle n’est pas au service de nos ambitions, mais au service de quelque chose de plus grand que nous. Il n’y a pas d’objectif à réaliser mais simplement une intention, celle de nous connecter profondément à nous même, à ce qui se trouve en dessous et au-delà des besoins de l’égo, de retrouver le sentiment d’unité avec le monde visible et aussi invisible auquel dont nous faisons partie, et d’être prêt à accueillir ce qui peut en émerger. Cette pratique spirituelle consiste principalement à mettre en sommeil pour quelques temps, les limitations mentales de nos identités (les cloisonnements, les hiérarchisations et les jugements) qui sont bien souvent à la source de nos problèmes, puis à nous ouvrir à l’immensité du champ de conscience, et à laisser une perception plus large de notre identité émerger de ces nouvelles connexions. Il y a bien sur des bénéfices à cette pratique spirituelle, mais ils restent toujours imprévisibles. 

Ouvrir son niveau de conscience nous permet de vivre l’expérience d’êtres interreliés aux autres humains et à un immense champ de ressources. Ce dernier possède le potentiel de transformation de toute expériences humaines, dont celles de la maladie, de la guérison et la santé. Vous saurez que vous avez accédé à une ressource spirituelle, car vous en ressentirez sa puissante présence en vous. Cette énergie qui émerge n’a pas encore de forme, mais peut se matérialiser en un nouvel état de santé si vous savez la diriger et la canaliser dans une direction donnée. 

De nombreuses études scientifiques, bien souvent méconnues, apportent des preuves de l’influence de la spiritualité sur la santé physique et mentale.  La méta-analyse de Balboni, VanderWeele, Koh et leurs collègues représente la recherche la plus rigoureuse et la plus complète à ce jour de la littérature moderne concernant la santé et la spiritualité. "Nos résultats indiquent que l'attention portée à la spiritualité dans les maladies graves et dans la santé devrait être une partie essentielle des futurs soins centrés sur la personne dans sa globalité, et les résultats devraient stimuler plus d'échanges et de progrès sur la façon dont la spiritualité peut être intégrée dans ce type de soins sensibles aux notions de valeur."

S’il est difficile de dépasser et transcender le principe universel d’égocentrisme et le narcissisme spirituel, certaines pratiques  modélisées par la PNLpeuvent certainement nous faciliter la tâche.

Sources

An exploration of spiritual superiority: The paradox of self-enhancementRoos VonkAnouk Visser First published: 01 October 2020 

Méditation, yoga... quand on se croit plus « éclairé » que les autres ; Par Scott Barry Kaufman