Le pouvoir cause des dommages au cerveau

Le pouvoir cause des dommages au cerveau

Comment les leaders perdent les capacités d’empathie qui leur ont permis d’accéder au pouvoir. 

Si le pouvoir était un médicament délivré sur ordonnance, il serait accompagné d'une longue liste d'effets secondaires connus dit  Jerry Useem, l’auteur de l’article Power causes Brain publié dans The Atlantic. Si le pouvoir peut intoxiquer, corrompre, faire croire à Henry Kissinger qu'il était sexuellement magnétique, peut-elle causer des dommages au cerveau ?

L'historien Henry Adams décrivait le pouvoir comme "une sorte de tumeur qui finit par tuer les sentiments de sympathie vis à vis des victimes". Selon les travaux de Dacher Keltner, professeur de psychologie à l'université de Berkeley, les sujets sous l'influence du pouvoir agissent comme s'ils avaient subi une lésion cérébrale traumatique, devenant plus impulsifs, moins conscients des risques et, surtout moins aptes à voir les choses du point de vue des autres.

Pour le neuroscientifique Sukhvinder Obhi qui a étudié le cerveau des puissants par imagerie cérébrale, le pouvoir nuit au processus neuronal spécifique, des neurones miroirs ou « mirroring », qui pourrait être au cœur de l'empathie. Ce qui donne une base neurologique à ce que Keltner a appelé le "paradoxe du pouvoir" : une fois que nous avons le pouvoir, nous perdons certaines des capacités dont nous avions besoin pour l'obtenir.

Dans une étude de 2006, on a demandé à des participants de dessiner la lettre E sur leur front pour que d'autres puissent la voir, une tâche qui exige de se voir du point de vue d'un observateur. Les personnes qui se sentaient puissantes avaient trois fois plus de chances de dessiner le E dans le bon sens pour elles-mêmes et à l'envers pour les autres. D'autres expériences ont montré que les personnes puissantes réussissent moins bien à identifier ce que ressent une personne sur une photo ou à deviner comment un collègue pourrait interpréter une remarque.

Selon Keltner, en imitant les expressions et le langage corporel de leurs supérieurs, les subordonnés fournissent peu d'indices fiables aux puissants. Mais le plus important, selon Keltner, est que les puissants cessent d'imiter les autres. Rire quand les autres rient ou se crisper quand les autres se crispent aide à déclencher les mêmes sentiments que ceux que les autres éprouvent. Les personnes puissantes "cessent de simuler l'expérience des autres", ce qui conduit à un "déficit d'empathie".

Le « mirroring » est une forme subtile de mimétisme qui se déroule dans notre tête, sans que nous en ayons conscience. Lorsque nous regardons quelqu'un effectuer une action, la partie du cerveau que nous utiliserions pour faire la même chose s'allume en réponse. C'est ce qu'on pourrait appeler l'expérience par procuration. 

Sukhvinder Obhi a demandé à des étudiants de regarder une vidéo de la main d'une personne pressant une balle en caoutchouc. L’activation de la réponse en miroir a bien fonctionné chez les participants non puissants, et moins bien pour le groupe puissant. Les participants étaient pourtant des étudiants "motivés" à se sentir puissants par le récit d’une expérience dans laquelle ils avaient été aux commandes. La réponse du miroir a été comme anesthésiée pendant l’expérimentation. 

S. Obhi a également montré que les puissants pouvaient cesser de faire l’effort de se mettre à la place des autres, sans pour autant perdre la capacité de le faire. Après avoir expliqué aux sujets puissant ce qu'était le miroir, il leur a demandé de faire un effort conscient pour augmenter ou diminuer leur réponse.  Pourtant ils n’ont pas fait cet effort. La connaissance est censée donner du pouvoir, alors que ce dernier vous en prive. 

Selon la recherche, le pouvoir inciterait notre cerveau à rejeter les informations périphériques, afin de gagner en efficacité, et décider à partir de stéréotypes, ce qui pose des problèmes dans les situations sociales. Le pouvoir réduirait la nécessité d'une lecture nuancée des personnes, puisqu'il nous donne la maîtrise de ressources que nous devions auparavant quémander auprès des autres. Si dans une organisation moderne le maintien du pouvoir dépend d'un certain niveau de soutien organisationnel, l’actualité continue pourtant à donner de nombreux exemples de situations contre productives dues à l’orgueil de leur dirigeant. 

S’il est difficile de freiner la tendance du pouvoir à affecter votre cerveau, il est plus facile, de temps à autre, d'arrêter de se sentir puissant. Car Keltner rappelle que le pouvoir n'est pas un titre ou une position mais un état mental, et que si vous vous souvenez d'un moment où vous ne vous êtes pas senti puissant, votre cerveau pourra à nouveau reprendre contact avec la réalité. En tant que dirigeant, nous avons l’obligation de garder les pieds sur terre, et de nous entourer de personnes qui nous y aident.

Clémentine, l’épouse de Winston Churchill, a remplit ce rôle en ayant eu le courage de lui écrire le jour de l'entrée d'Hitler à Paris : "Mon cher Winston. Je dois avouer que j'ai remarqué une détérioration dans tes manières ; tu n'es pas aussi gentil qu'avant." On lui avait confié que Churchill se comportait "de manière si méprisante" envers ses subordonnés lors des réunions qu'"aucune idée, bonne ou mauvaise, ne sera émise" - avec le danger connexe que "vous n'obteniez pas les meilleurs résultats".

Lord David Owen, neurologue britannique devenu parlementaire et ministre des Affaires étrangères décrivait le "syndrome d'hubris" comme "un trouble de la possession du pouvoir, en particulier du pouvoir qui a été associé à un succès écrasant, détenu pendant une période de plusieurs années et avec un minimum de contraintes pour le leader". Les caractéristiques cliniques comprennent : un mépris manifeste pour les autres, une perte de contact avec la réalité, des actions agitées ou téméraires et des manifestations d'incompétence. »

M. Owen disait que ce qui l’aidait  à rester ancré dans la réalité était de repenser aux épisodes de son passé qui pouvaient dissiper son orgueil, regarder des documentaires sur des personnes simples, et prendre l'habitude de lire les lettres de ses électeurs. Pour Owen, les entreprises et écoles de commerce ne montrent aucun intérêt pour la recherche sur l'orgueil démesuré. Cela suggère qu'il est peu probable qu'une maladie souvent observée dans les salles de conseil et les bureaux de direction trouve bientôt un remède.

Commentaires pour les coachs de santé

Les enseignements de cet articles sont intéressants si on n'associe pas la personne à la recherche du pouvoir. Ce n'est pas la personne qui recherche le pouvoir, mais une partie de cette personne, et nous pouvons vivre sous l'emprise d'un type de personnalité. Cette recherche du pouvoir vient de nos égos, car nous en avons plusieurs, comme nous avons en nous différents types de personnalité. Dans le modèle de la Process Communication, la recherche du pouvoir est surtout associée aux type de personnalité du Persévérant et du Promoteur. Le type Persévérant recherche un pouvoir d'influence sur le monde qui l'entoure, et son enjeu est de démontrer que son cadre de référence a bien plus de valeur que celui des autres. Le type Promoteur recherche un pouvoir matériel et aussi le pouvoir que lui donne son image et la glorification de soi. Les égos s'activent surtout en situation de stress, ce qui signifie que les pièges internes du pouvoir peuvent s'atténuer dans une situation de détente. D'autre part nous avons tous en nous les autres types de personnalité, dont certains ne sont pas intéressés par le pouvoir matériel ou d''influence. Ce qui signifie qu'une personne sous l'infuence de la source de pouvoir interne dispose toujours le potentiel d'activer une autre partie de soi plus soucieuse des autres telle que l'Empathie.

Pour ne pas se laisser pièger par la recherche de puissance d'une partie de soi, une bonne connaissance et conscience de soi apparait nécessaire. Il en va de la santé du dirigeant mais aussi de celle de son entreprise.  Car le potentiel de développement d'une entreprise ne peut dépasser le niveau de conscience de son dirigeant.

Sources

Power Causes Brain Damage; How leaders lose mental capacities—most notably for reading other people—that were essential to their rise; The Atlantic, JERRY USEEM,