Croyez-vous au pouvoir de la manifestation ?

Croyez-vous au pouvoir de la manifestation ?

La croyance que l'on peut attirer le succès dans la vie par des affirmations et visualisations positives, et en se comportant comme si l'on avait déjà atteint ses objectifs, comporte des inconvénients dit la recherche.

Si vous n’êtes pas familier comme moi des « manifestants » qui s’expriment TikTok, vous ne connaissez probablement pas la définition tendance de « manifestation ». Moi je pense de suite à l’acte collectif qui se déroule souvent dans la rue, pour s’exprimer en faveur ou défaveur d'une cause politique, syndicale…. Autres.  Et bien non, car la nouvelle « manifestation » est la croyance que l'on peut attirer le succès dans la vie par des affirmations et des visualisations positives, et en se comportant comme si l'on avait déjà atteint ses objectifs. En mai 2023, les vidéos TikTok comportant le mot-clé "manifestation" avaient recueilli pas moins de 34,6 milliards de vues, notent Lucas J Dixon et ses collègues de l'université du Queensland. Bien qu'elle soit extrêmement populaire et qu'elle soit susceptible d'influencer les décisions et les comportements de millions de personnes, la croyance en la manifestation n'a fait l’objet que de très peu d'études académiques.

Les auteurs de l’étude “The Secret” to Success? The Psychology of Belief in Manifestation » suggèrent que les personnes qui croient en ses principes, les "manifestants" courent un risque accru de subir diverses conséquences négatives, notamment la faillite. 

Dans une première étude, les chercheurs ont conçu, testé et validé une échelle de mesure des croyances envers la manifestation. Cette version à 11 éléments comporte deux sous-échelles. La dimension "pouvoir personnel" explore le degré d’adhésion d’une personne à des affirmations telles que "Visualiser un résultat positif le rapproche de moi", "J'ai plus de chances d'attirer un résultat positif si j'agis comme s'il s'était déjà réalisé", et "Je peux faire naître le succès en me parlant positivement à moi-même". 

Une deuxième sous-échelle a évalué les croyances relatives à la "collaboration cosmique", un autre élément clé du concept de manifestation. Par exemple : "J'attire le succès dans ma vie avec l'aide de l'univers ou d'une puissance supérieure", "Je demande à l'univers ou à une puissance supérieure de m'apporter le succès" et "Pour attirer le succès, je m'aligne sur les forces ou les énergies cosmiques".  L’utilisation de l'échelle avec un groupe de 306 adultes basés aux États-Unis, a montré que les scores de croyances n'étaient pas liés à l'âge, au sexe ou au revenu. Elle a également montré que 35 % des participants croyaient en ses principes. 

Dans une seconde étude, menée auprès d'un nouveau groupe de 348 participants américains, les croyances en la manifestation se recoupaient avec celles de certains concepts connexes tels que la "justice karmique" (la croyance selon laquelle les actions des individus sont en fin de compte récompensées ou punies). Les scores obtenus sur la nouvelle échelle étaient plus fortement associés à des niveaux plus élevés de soutien au travail de la part de défenseurs célèbres de la manifestation, tels que Rhonda Byrne, auteur du livre The Secret, et Oprah Winfrey.

D'autres analyses ont montré que ceux qui croyaient en la manifestation avaient tendance à se percevoir comme ayant plus de succès. Ils ont également prédit qu'ils réussiraient mieux à l'avenir, même si l'écart entre leur niveau de réussite actuel et leur niveau de réussite prédit était important. Toutefois, les résultats de la première étude ont suggéré que ces croyances étaient erronées, car les « manifestants » ne réussissaient pas mieux en termes de revenus ou de niveau d'éducation.

Dans une troisième étude, l’échelle a été utilisé avec 375 participants américains et complété par des questions sur des expériences et choix de vie. Les auteurs ont constaté que les « manifestants » étaient plus susceptibles de prendre des décisions financières risquées, de posséder une crypto-monnaie, de croire qu'il est possible de "s'enrichir rapidement" et d'avoir été déclarés en faillite, mais pas plus susceptibles d'investir dans le marché boursier.

Les manifestants avaient également plus tendance à croire que leur compétence, qualité ou talent le plus précieux, pouvait leur permettre de gagner 300 000 dollars par an en créant une base de plus de 100 000 fans, tout en obtenant le respect et la reconnaissance de la société du fait de leur contribution positive à la vie de milliers de personnes. Les chercheurs soulignent que ce scénario est conçu pour représenter une "réussite improbable", et que les « manifestants » peuvent avoir plus facilement tendance à croire en des projets aux promesses de succès irréalistes. 

Les chercheurs notent que les formes de pensée magique, telles que celle sur la manifestation, peuvent aider les individus à maintenir leur optimisme lorsqu'ils s'efforcent d'atteindre un objectif. Mais se fixer des objectifs irréalistes ou persévérer à réaliser des objectifs non pertinents peut être dangereux. Les chercheurs notent que ces croyances encouragent les « manifestant » à considérer l'échec comme la preuve qu'ils ne sont "pas encore en alignement vibratoire complet avec leur objectif", ou que "les retards de Dieu ne constitue pas des refus de Dieu". L’atteinte de « l'alignement vibratoire" signifie envoyer dans l’univers une énergie qui vibre à la même fréquence que l'énergie de ce que la personne veut manifester.  Le recadrage des échecs peut aider les individus à mieux vivre l’échec. Ce qui peut être dommageable est le recadrage systématique ou l’obstination à maintenir des affirmations positives menant au déni ou aux faux espoirs. 

Les limites de l’étude concernent d’une part la généralisation des résultats à d'autres pays ou cultures, les participants étant tous américains, et d’autre part la forte tendance des manifestants à déclarer qu'ils réussissent mieux et qu'ils réussiront mieux à l'avenir parce qu'ils tentent de réagir d'une manière qu'ils croient pouvoir les rendre plus performants. Des études à venir pourraient éviter les biais des auto-évaluations de la réussite et utiliser des mesures objectives. Enfin les résultats de cette étude corrélationnels et non prédictifs., ce qui signifie que des recherches complémentaires pourront établir les relations causales entre tous les facteurs explorés.

Commentaires pour les coachs de santé

Connaissez-vous l’histoire du gars qui voulait devenir riche et qui tous les soirs avant de s’endormir, faisait une longue prière pour solliciter la bienveillance de de Dieu « Mon Dieu, faites que je devienne riche »  Après 20 ans de prières, sous l’effet de la lecture du Secret, ou de la schizophrénie, il entend la voix de Dieu lui dire « Mon fils, je veux bien te donner un coup de main, mais va au moins acheter un billet de loterie au bar tabac » Ce gars n'a pas su se dire ou dire à Dieu ce qu'il pouvait y avoir d'important pour lui dans la richesse, ni sortir des abstractions pour mener des actions concrètes pouvant mener à la richesse. 

Le premier inconvénient majeur de ces croyances, est donc d’inviter à la passivité plutôt qu’à l’action.  Demander au champ cosmique de réaliser notre rêve, et attendre patiemment sa survenue sans rien changer de nos habitudes, est un bon moyen de devenir fou et de faire faillite. « Le succès, c’est 10 % de talent et 90% de travail » Dit Einstein. 

Les buts de l'égo ou de l'âme ?

Le second inconvénient vient de la source de la demande, car ces rêves expriment bien plus souvent les exigences de l’égo, que celles de notre âme (ou raison d’être, nature profonde…) qui préexistait avant la naissance de nos égos. La différence est importante car l’égo est une entité séparée du système auquel il appartient. L’égo est tourné vers soi et la quête d’une sécurité, que l’on croit obtenir par plus de pouvoir, d’argent, de position sociale ou de célébrité, autant de leurres qui ne seront jamais complétement satisfaits.  La réalisation de ces objectifs implique une dépense d’énergie considérable, dont la source interne s’épuise rapidement et dont le prix est exorbitant (maladies, burnout, décès brutal, divorce…). Un bon moyen de « devenir l’homme le plus riche du cimetière » disait Steve Jobs. Pour l’égo, la connexion à l’énergie cosmique, l’alignement vibratoire, ou le dialogue avec Dieu, ne signifie rien de plus que de faire le plein de carburant à la station-service. 

L’âme représente ce qui est unique en nous, un talent, un « super pouvoir », une excellence personnelle, qui sommeillent en chacun de nous sans que nous le sachions, et que nous souhaitons mettre à la disposition de notre communauté.  L’âme est tournée vers les autres et ses critères de réussite, ne sont ni l’argent, ni le pouvoir, mais les sentiments de gratitude de ce que la vie nous apporte, et de générosité envers ceux qui nous entourent. La connexion à notre âme génère une énergie considérable et inépuisable, car sa source est au-delà de nos limites corporelles. C’est cette énergie qui nous permet de réaliser de grandes choses pour le monde. Gandhi, Martin Luther King, Einstein  ou Mandela n’ont pas attendu de lire les principes des lois de l’attraction ou de la manifestation pour « manifester » leur génie.

Selon Gregory Bateson, la poursuite de buts conscients est source de problèmes.  

Selon Dany Gerbinet « Quand nous nous focalisons sur un objectif, le champ de nos perceptions se rétrécit : la conscience, obnubilée par le but à atteindre, ne prend en considération que les informations qu’elle juge nécessaires à sa réalisation. Elle ne perçoit plus les contextes plus larges. Par exemple, un homme d’affaires peut développer son entreprise, ce qui est son but, et s’étonner qu’un jour sa femme demande le divorce. Il y a eu des signes avant-coureurs, mais il ne les a pas perçus. Par ailleurs, la poursuite de nos buts conscients nous pousse dans une logique linéaire : « Si je parviens à ceci, alors je pourrai passer à cela. » Nous entrons dans un plan séquencé dans lequel nous franchissons un obstacle après l’autre, jusqu’à l’objectif. Cela comporte des effets pervers car, comme l’expliquait Gregory Bateson « les problèmes les plus importants en ce monde viennent d’une différence entre la façon dont les hommes pensent et celle dont la nature fonctionne ». Nous raisonnons de manière linéaire alors que la nature fonctionne selon des processus circulaires : toute action produit des effets en retour, des feed-back. Pour revenir à la question du but et de nos stratégies : ce qui nous apparaît comme des lignes droites ne sont en fait que des portions de cercle. Ne pas prendre en compte cette circularité expose à des déconvenues. »

Olivier Millet, un autre expert de l’approche systémique de Palo Alto rappelle que « le Je conscient ne voit qu’une partie de l’information élaborée inconsciemment au travers de liaisons synaptiques. Si nous prenons en compte ce principe, nous pouvons envisager que nous sommes guidés dans notre perception par certains buts. » Le but conscient est pour G. Bateson « un moyen efficace d’accentuer la rapidité des déséquilibres entre la nature systémique de l’homme et sa conscience aveugle de cette nature. Le propos de Bateson est de dire que le manque de sagesse systémique est toujours puni.

Alors que faire ? Vivre sans objectifs ? Ne pas avoir de buts impliquerait de vivre en permanence dans le présent sans pouvoir se projeter dans l’avenir, ce qui est humainement fort difficile. La solution serait de privilégier des objectifs qui reposent sur le désir (J’ai envie d’obtenir cela) plutôt que sur la volonté. (Je veux ou je dois obtenir cela) « Le bon objectif est celui qui surgit du désir, c’est-à-dire d’une interaction entre mon environnement et moi, pas de mes constructions mentales. » A condition bien sur que la réalisation de mon désir respecte l’écologie du système. 

La distance entre le rêve est la réalité est l'action.  

Ces réflexions s'appliquent bien sur au domaine de la santé. La guérison est un processus interne qui débute par la décision de se reconnecter aux  sources de notre désir (et énergie)  plutôt qu'aux désirs des autres (votre famille,  patron, communauté...).  Comme dit le proverbe, à partir du moment ou vous savez vraiment (dans votre tête et votre corps) ce que vous attendez de la vie, le Maître apparait pour vous filer un coup de main. Donnez le nom que vous voulez à ce Maitre : Dieu, la nature, l'énergie quantique, ou ce qui n'a pas de nom... etc. L'idée de la manifestation est intéressante, par l'optimisme qu'on peut y associer, mais elle ne produit de miracles, que sous certaines conditions, en particulier si elle est correctement formulée, avec une intention "incarnée", l'activation des moyens d'y parvenir  et les obstacles à dépasser, un bon système de feedback pour savoir si on est dans la bonne direction ou quand celle-ci nous mène directement dans la fosse du cimetiière, un surtout plan d'action efficace, car la distance entre le rêve et la réalité est l'action. Donc je propose de renomer la "manifestation" en "Gestion d'un projet de soi" C'est moins sexy mais certainement plus efficace. Comme pour tous projet, il n'y aucune garantie de réussite, mais cela ajoute un peu plus de réalisme et de lucidité pour accroitre vos chances de réussite.  Et surtout, rappelez-vous, la magie de la manifestation est avant tout dans l'action, surtout les actions qui vous sortent de votre zone de confort.  

Sources

Dixon, L. J., Hornsey, M. J., & Hartley, N. (2023). “The Secret” to Success? The Psychology of Belief in Manifestation. Personality and Social Psychology Bulletin0(0). https://doi.org/10.1177/01461672231181162