Pourquoi les croyances peuvent être difficiles à changer ?

Pourquoi les croyances peuvent être difficiles à changer ?

Le paradoxe humain est de disposer d’un fort potentiel de croissance par ses capacités d’adaptation aux changements de son environnement, et en même temps un potentiel de résistance au changement par la mise en place de ses mécanismes de protection et de conservation.

Le changement n’est donc pas une simple affaire car il fait intervenir deux dynamiques qui peuvent s'opposer. Le changement peut être à la fois souhaité et perçu comme une source de déstabilisation d’un équilibre intérieur progressivement construit au fil du temps. Le cœur de cette résistance intérieure est le plus souvent notre système de croyance, car celui-ci organise nune vision du monde que nous souhaitons stable et les habitudes de vie rassurantes qui en découlent. Les idividus désirent changer, même si leur croyances en décident autrement.

Notre vision du monde, et les croyances qui y sont associées, se construit pendant l'enfance lors de notre socialisation dans un contexte culturel particulier. Nos croyances sont renforcées au fil du temps sous l’influence des groupes sociaux auxquels nous appartenons, les médias que nous consultons, et aussi la façon dont notre cerveau est câblé. La remise en cause de nos modèles du monde par la confrontation aux faits de la réalité peut être perçue comme aggressive vis-à-vis de notre identité, et peut aboutir à un durcissement de nos positions. 

Keith M. Bellizzi, l’auteur de l’article « Cognitive biases and brain biology help explain why facts don’t change minds », publié dans The Conversation, est un chercheur expert du développement humain, et des changements comportementaux. Ses travaux l’ont amené à constater qu’il est bien difficile de faire évoluer l'état d’esprit et le comportement d'une personne lorsqu'elle rencontre de nouvelles informations qui vont à l'encontre de ses croyances. Par exemple, des études en psychologie cognitive et en neurosciences ont montré que dans le domaine de la politique, les individus se forgent leurs convictions bien plus à partir de leurs émotions, telles que la peur, le mépris et la colère, qu’à partir des faits. Le plus souvent, les faits nouveaux ne font pas changer d'avis les individus. Cet article présente les arguments de Keith M. Bellizzi à propos de notre difficulté à changer d’avis, ses recommandations pour faire évoluer notre modèle du monde, et les applications du changement de croyance au domaine de la santé.  

Pourquoi il est si difficile de changer d'opinion

Pour Keith M. Bellizi, notre tendance naturellle à résister à l'envie de changer d'avis s’explique par la présence des biais cognitifs. 

Le rejet de ce qui contredit nos croyances

« Dans un monde idéal, les personnes rationnelles qui rencontrent de nouvelles preuves contredisant leurs croyances évalueraient les faits et modifieraient leurs opinions en conséquence. Mais ce n'est généralement pas ainsi que les choses se passent dans le monde réel. » Car la rationalité implique une flexibilité conceptuelle qui n’est pas présente dans une croyance. Au lieu de réévaluer ce qu'ils ont cru jusqu'à présent, les individus ont tendance à rejeter les preuves incompatibles avec leurs croyances. Cela s’explique par un biais cognitif appelé la persévérance dans les croyances, selon lequelle les êtres humains peuvent agir de manière irrationnelle. 

Devant des faits qui suggèrent que leurs croyances actuelles sont fausses, les individus se sentent menacés, et tout particulièrement quand la remise en cause est l’expression d’une identité politique et personnelle.  La confrontation des croyances peut avoir un « effet boomerang » en renforcant les croyances initiales. Les chercheurs ont observé ce phénomène dans des études concernant les politiques sur les changements climatiques et les attitudes à l'égard de la vaccination des enfants.

La focalisation sur ce qui confirme nos convictions

Le second biais cognitif expliqué par Keith M. Bellizzi est le biais de confirmation. « Il s'agit de la tendance naturelle à rechercher des informations ou à interpréter les choses d'une manière qui conforte nos croyances existantes. » Le biais de confirmation est renforcé lors des interactions avec des personnes partageant les mêmes idées. En vous empêchant de considérer une situation de façon objective, le biais de confirmation peut conduire à des erreurs de jugement. 

La biologie du cerveau ne vous aide pas à changer d’avis

Le cerveau contribue au maintien de nos croyances de façon biologique, en libérant des médiateurs chimiques associés à des émotions agréables ou désagréables, qui confortent ou pas nos croyances. Ce qui signifie qu’une situation qui valorise une croyance libère des médiateurs chimiques aux effets euphorisants. A l’inverse une situation qui confronte une croyance libère un cokctail de médiateurs chimiques aux effets inconfortables. Notre cerveau est organisé pour assurer notre protection physique et psychologique, et en particulier pour maintenir le sentiment de cohérence interne, même devant des faits qui montrent que nous nous trompons. La satisfaction de nos besoins psychologiques et l’illusion du sentiment d’être soi, peut déclencher un flot d'hormones, dont la dopamine et l'adrénaline, qui contribuent à la sensation de plaisir, d’euphorie et d’énergie dont nous pouvons devenir dépendants. Pour certains, le besoin psychologique est le sentiment d’avoir eu raison lors d’un échange, pour d’autres le sentiment d’être aimé, la reconnaissance d'un travail, une relation de complicité, un défi sportif, etc. 

Notre cerveau vous protège également des situations de stress élevé, c’est-à-dire celles qui n’exigent pas une réflexion mais de l’action. La libération de l’adrénaline et du cortisol suspend les fonctions cognitives supérieures, la capacité à penser de façon logique et rationnelle, et la capacité à prendre en compte des points de vue différents. Devant la perception d’une menace, l'amygdale du système limbique s’active et déclenche une réaction de combat ou de fuite. Les émotions de forte intensité signalent le plus souvent que quelque chose vient de perturber notre identité, c'est-à-dire l'histoire que nous nous racontons à propos de qui nous sommes. Ces émotions intenses nous empêchent de penser clairement et renforce les biais cognitifs.

Que faire pour assouplir les croyances

Keith M. Bellizzi propose plusieurs solutions pour éviter de se laisser piéger par les biais cognitifs et la biologie du cerveau qui rendent difficile le changement de point de vue. 

Garder l'esprit ouvert, en apprenant de nouvelles choses, en recherchant des points de vue différents à propos d’un même problème, en tentant d’utiliser des preuves précises, objectives et vérifiées, pour se faire une opinion ou la modifier.

Se protéger des influences aberrantes. « Par exemple, accordez plus de poids aux nombreux médecins et responsables de la santé publique qui décrivent la prépondérance des preuves sur la sécurité et l’efficacité des vaccins, qu'à un médecin marginal qui suggère le contraire sur un podcast »

Se méfier des répétitions, car « les déclarations répétées sont souvent perçues comme plus vraies que les nouvelles informations, quelle que soit leur niveau d’erreurs. Les manipulateurs des médias sociaux et les politiciens ne le savent que trop bien. »

Présenter les choses de manière non conflictuelle, afin de permettre à ses interlocuteurs d'évaluer les nouvelles informations sans se sentir attaqués. « Insulter les autres et suggérer que quelqu'un est ignorant ou mal informé, même si ses croyances sont erronées, amènera ceux que vous tentez d'influencer à rejeter votre argument. A la place, posez des questions qui amènent la personne à remettre en question ce qu'elle croit. »

Reconnaitre notre tendance à maintenir notre point de vue. « Ecoutez respectueusement les autres opinions. Respirez profondément et faites une pause lorsque vous sentez que votre corps est prêt à se battre. N'oubliez pas qu'il est normal de se tromper parfois. La vie peut être un processus de croissance. »

Les résistances aux changements

Les raisons pour lesquelles nous montrant tant de résistances aux changements de croyance et à ce qui se passe dans nos cerveux reptiliens et limbiques viennent probablement de notre évolution en tant qu’espèce.  

Assurer notre survie. Notre cerveau est conçu pour se mettre en alerte face à la survenue d’un changement et face à l’inconnu, car nos ancêtres n’avaient en pas le droit à l’erreur dans un monde qui devait être grandement hostile. La résistance au changement est donc un réflexe naturel de protection, qui est resté présent même si de nos jours le danger n’est plus de même nature. Notre naissance peut également être une expérience de survie qui va rester inscrite dans notre inconscient. Notre arrivée dans ce monde est marquée par une compresion du corps, l’arrivée dans un monde froid et lumineux dans lequel il convient de respirer autrement.

Economiser l’énergie. Le cerveau représente 3% de notre corps mais consomme 20% de notre énergie. Le cerveau a donc une forte tendance à fonctionner à l’économie en privilégiant le connu et le sûr, par une tendance à rester dans sa zone de confort des habitudes ou de nos « programmes » mentaux et comportementaux, et à se conformer aux comportements de notre groupe social. 

Gérer l’équilibre entre bénéfices et efforts. Selon le principe de régulation, nous réglons notre mode de fonctionnement pour l'adapter aux conditions extérieures ou au résultat à obtenir. Nous adaptons la quantité d’énergie investie dans l’action en proportion de la récompense immédiatement attendue. Votre animal de compagnie fera les efforts demandés pour obtenir une récompense observable. Le changement humain est particulier car il exige des efforts pour dépasser des obstacles avec un bénéfice futur souvent incertain. Dans ce cas la balance des bénéfices par rapport aux efforts peut apparaître négative. 

Protéger son territoire. Le changement de croyance se traduit par des changements de capacités, de comportements et d’environnements, dans lequels nous pouvons avoir peur du regard de ceux qui ne nous sont pas familliers, peur ne pas trouver notre place, de retrouver une position sociale …etc. Changer d’environnement signifie pour certains qu’ils ont une vie à reconstruire.

Les croyances et la santé

Le changement de croyance est donc associé à une prise de risque et une importante dépense d’énergie pour notre cerveau. Quand un individu s’identifie à ses croyances, il apparaît bien légitime de les défendre. Toute remise en cause des croyances peut être perçue comme une aggression, ce qui mène à un durcissement de leur position. 

Il me paraît intéressant de ramener les leçons de l’article Keith M. Bellizzi aux domaines de la santé et de la maladie, dans lesquels les croyances sont omniprésentes. Les croyances limitantes sont celles qui ne contribuent pas à la guérison et à la santé. Notre état de santé actuel est en grande partie conditionné par nos croyances construites par les événements du passé, et aussi par les croyances que nous projetons dans notre futur. Pour pouvoir guérir, il est utile de croire que la guérison est importante pour soi, que c’est possible de guérir, que les nouveaux comportements de santé à adopter peuvent modifier l’évolution de la maladie, que l’on a suffisamment confiance en soi pour la mise en œuvre des nouveaux comportements, et enfin que l’on mérite de guérir et que nous en avons la responsabilité. C’est donc une mais un système de croyances qui peut faciliter ou résister au changement. Le principal obstacle au changement de croyances est que la plupart des individus n’en font pas la demande, car pour des raisons écologiques, ils en perçoivent plus les coûts que les bénéfices.

L’article de Keith M. Bellizi est révélateur de la pensée scientifique, en expliquant d’une part que les croyances sont cognitivement et biologiquement blindées pour résister aux arguments logiques, et d’autre part en proposant des solutions tout à fait logiques d’assouplissement des croyances. L’auteur dit en conclusion que nous devons faire preuve d’humilité pour reconnaître qu’en tant qu’humains, nous devons accepter que nos croyances nous trompent. Il a bien raison et il en fait la démonstration dans cet article.

Les scientifiques ne jurent que par le monde des faits, des preuves objectivables et mesurables, des règles qui dans le domaine de la psychologie s’appliquent aux comportements. Mais cette obsession de la rationnalité ne nous autorise pas à croire que les croyances changent selon des règles bien distinctes que celles qui s’appliquent aux comportements. Les preuves environnementales et comportementales restent le plus souvent insuffisantes pour changer une croyance, car une croyance n’a rien à voir avec la réalité. 

La connaissance s’adresse au monde des réalités observables alors que les croyances concernent ce que personne ne peut réellement savoir et observer. Il ne faut pas oublier que la perception du monde qui nous entoure est filtrée par notre système de croyance. Nous voyons ce que nous croyons et pas l’inverse. Ce qui signifie que si je ne trouve pas dans le monde extérieur ce que je recherche, c’est probablement que cette chose n’existe pas dans mon monde intérieur. Une personne qui est convaincue d’être atteinte d’une maladie incurable n’a pas la possibilité d’accéder aux réalités extérieures ou aux contre-exemples qui peuvent contredire sa croyance. Cette personne a donc besoin de croire qu’elle peut guérir précisément par ce qu’elle ignore la réalité des possibilités de guérison de sa maladie. 

Si la réalité extérieure ne lui apporte pas de preuves d’un changement possible, l’imagination peut l’aider à se fabriquer une réalité intérieure. Car pour citer Einstein, « l’imagination a bien plus de pouvoir que le savoir. »  Changer une croyance limitante consiste avant tout à maximiser les bénéfices du changement, tout en prennant en compte les résistances qui ne vont pas manquer de s’exprimer. Le changement d’une croyance limitante, nécessite d’identifier une raison majeure et vitale de changer, et de s’en faire une représentation sensorielle suffisamment puissante pour que l’intention de changer puisse être incarnée et devenir une réalité intérieure. La croyance devient aidante quand la personne ressent que l’émotion liée à la réalisation de l’intention est déjà présente en elle. 

Sources 

Cognitive biases and brain biology help explain why facts don’t change minds, Keith M. Bellizzi, The Conversation Medical x press Publié: 11 août 2022